2024 : Ailleurs, l'art haïtien a rayonné
En 2024, alors que son bastion, Port-au-Prince, se plie sous le poids des violences et le sifflement des balles, l’art plastique haïtien continue de briller sur la scène internationale.
Ce samedi 12 octobre 2024, au Centre d’Art, lors d’une séance de Ciné d’art, son image défilait sur les écrans, comme celles d’une dizaine d’autres femmes artistes et artisans interrogées en 2015 par la réalisatrice Natacha Giafferi-Dombre dans le cadre de son film Il faut créer. L’expression et la puissance de son œuvre, déjà à cette époque, ne laissait aucun doute : Mirlande Constant allait devenir l’une des figures incontournables de l’art contemporain haïtien.
La nouvelle est tombée le 3 décembre 2024. Mirlande figure parmi les six lauréats du Impact Award 2024, l’un des prix les plus prestigieux dans le domaine des arts et de la culture à l’échelle mondiale. Décerné par la couronne néerlandaise tous les deux ans, ce prix récompense des acteurs issus de plusieurs domaines tels que la poésie, l’art de la performance, la réalisation cinématographique et les arts visuels. Il met en lumière ceux dont la qualité de travail révolutionnaire a apporté une contribution largement positive à leur société.
Mirlande a été récompensée « comme l’une des premières femmes à travailler avec le « drapo vodou », un art traditionnel du drapeau haïtien historiquement pratiqué par les hommes ». L’artiste haïtienne, qui a captivé l’international par ses œuvres textiles magistrales, conjugue avec virtuosité techniques patrimoniales et thèmes contemporains. Ses créations, minutieusement perlées à la main et brodées de paillettes, captivant par leur éclat et leur richesse narrative, établissent un pont saisissant entre tradition et modernité. Cela a suscité un engouement croissant pour ses œuvres dans les galeries et musées internationaux.
D’ailleurs, ce prix est survenu un peu plus d’un mois après le lancement de la sixième triennale d’art contemporain du Prospect New Orleans, qui se tient dans cette ville jusqu’au 2 février 2025. Mirlande fait partie des 49 artistes exposés dans plusieurs musées locaux notables, tels que le Newcomb Art Museum, le Ogden Museum, The Historic New Orleans Collection et le Contemporary Arts Center.
Mirlande conclut donc l’année 2024 comme elle l’avait commencée : dès les premiers jours, elle a figuré parmi les 60 artistes exposées à la Galerie d’art Barbican, située au nord de la Cité de Londres, en Angleterre. Cette exposition mettait en lumière des artistes des années 1960 à aujourd’hui ayant exploré le potentiel transformateur et subversif des textiles. Organisée thématiquement, avec des artistes placés dans des dialogues intergénérationnels et transculturels, Unravel : The Power and Politics of Textiles in Art examine les différentes façons dont les artistes ont utilisé les textiles pour parler de marginalisation, d’exclusion, mais aussi de joie émancipatrice et de transcendance. L’exposition, réalisée au grand centre des arts du spectacle d’Europe, a présenté environ 100 œuvres du 13 février au 26 mai 2024.
Mirlande Constant est aujourd’hui l’une des artistes haïtiennes les plus prisées à l’international. En 2023, son exposition The Work of Radiance, tenue au Fowler Museum de Los Angeles, fut la première exposition de musée américain consacrée à une artiste haïtienne. En 2022, son travail a été présenté dans l’exposition The Milk of Dreams de la Biennale de Venise, organisée par Cecilia Alemani (23 avril – 27 novembre 2022). 2025 s’annonce également prometteuse pour la quinquagénaire, avec la reprise de l’exposition Unravel : The Power and Politics of Textiles in Art jusqu’au 5 janvier 2025 au Stedelijk Museum d’Amsterdam.
Sur le vieux continent, des artistes du Centre d’Art se sont aussi illustrés en 2024. Shneider L. Hilaire, une des nouvelles promesses de l’art haïtien, a inauguré sa première exposition solo en Europe à la galerie Magnin-A, en France. À travers une série d’œuvres captivantes exposées à Paris, Shneider a su exprimer avec sensibilité et audace des récits enracinés dans la culture haïtienne. Son exposition a attiré des critiques élogieuses, consolidant sa position de figure montante de la scène artistique.
Sept mois plus tard dans la même ville, un autre artiste du Centre d’Art, l’un des membres fondateurs du groupe Artistes Rezistans, a également brillé. Du 19 octobre au 10 novembre 2024, le Centre d’Art et la galerie Christophe Person ont présenté l’exposition Anomalie. Celle-ci rendait hommage aux racines africaines d’Haïti et à son combat pour préserver son art, tout en établissant un pont avec l’Afrique de l’Est et la jeune génération. Anomalie mettait en regard les œuvres de deux plasticiens issus de générations et de cultures différentes, mais partageant des similitudes : une appréhension métaphysique de la couleur, exprimant tantôt la douleur, tantôt l’espoir ; un attrait commun pour les formes fluides et circulaires ; et une croyance inébranlable en la solidarité humaine.
Huit jours après le vernissage de l’exposition Anomalie, à quelques 1 050 kilomètres de Paris, une autre exposition notable a été inauguré au Musée d’Art Moderne et Contemporain Louisiane au Danemark. Ocean, qui rassemble des œuvres d’artistes acclamés, expose deux œuvres de Frantz Zéphirin, Les Cycles de la colonisation et The Brooks Liverpool. Cette exposition, qui explore les mythes, l’histoire et le présent, fusionne art, culture et science, et a été approuvée par la Décennie des sciences de l’océan pour le développement durable des Nations Unies. Le Musée Louisiane, le plus visité en Scandinavie dans sa catégorie, est renommé pour ses expositions exceptionnelles et son architecture harmonieuse.
Cependant, en Europe, l’événement majeur qui a attiré l’attention du monde entier sur l’art haïtien en 2024 a été l’exposition Zombis, la mort n’est pas une fin ? au musée du Quai Branly, le 8 octobre 2024. L’exposition explore la construction du mythe du zombie dans l’imaginaire collectif occidental, depuis ses premières évocations en 1697 jusqu’au film légendaire La Nuit des morts-vivants. Cette exposition a attiré des visiteurs de tous horizons, dont des étudiants, des diplomates, des chercheurs et des officiels, des scientifiques. Elle a été qualifiée par la Radio France Internationale « d’événement culturel majeur de la rentrée ».
Il n’y a pas eu d’exposition d’une telle envergure en Amérique en 2024, mais l’art haïtien y a connu de beaux jours cette année.
Avant tout, saluons Cuba, cette île résiliente qui, à travers ses multiples défis, a réussi à organiser la 40ᵉ Biennale de La Havane. Cette biennale s’impose comme un événement phare de l’art contemporain sur la scène internationale.
Depuis le 15 novembre 2024, La Havane s’est transformée en l’épicentre de l’art contemporain de l’île, accueillant plus de 410 artistes exposants. Parmi les 240 artistes étrangers figure Barbara Prézeau, la première femme d’origine haïtienne à participer à cet événement prestigieux.
À cette occasion, la plasticienne présente deux œuvres issues de sa récente création intitulée « Tresses » : une vidéo et une sculpture monumentale de 150 mètres linéaires, mesurant 5 mètres de hauteur, dont la réalisation a nécessité un mois de travail intensif.
Ce projet est soutenu par le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de Montréal, en partenariat avec le Centre des arts de la Maison d’Haïti. La sculpture « Tresses 2020 » a été inaugurée au Museo Nacional de Bellas Artes de Cuba le samedi 16 novembre.
Haïti a déjà été représenté à la Biennale de La Havane par des artistes de renom tels qu’Édouard Duval-Carrié, Mario Benjamin et Maksaens Denis.
La Biennale de La Havane, fondée en 1984, se déroule cette année jusqu’au 28 février 2025, offrant une plateforme unique pour célébrer l’art contemporain dans toute sa diversité.
Aux États-Unis, qui demeurent la principale vitrine internationale de l’art haïtien, plusieurs événements marquants ont mis en lumière la richesse de cet héritage artistique.
Au SFO Museum, l’exposition The Enduring Spirit of Haitian Metal Sculpture, qui a été ouverte jusqu’au 20 octobre 2024, a rendu hommage à certains des plus grands sculpteurs métalliques d’Haïti, tels que Liautaud, Brièrre, les frères Louisjuste, Bien-Aimé et Jolimeau, tous des artistes emblématiques de la sculpture métallique de Croix-des-Bouquets. Cette exposition a débuté le 17 août 2023 à l’aéroport international de San Francisco.
Dans le sud des États-Unis, au Texas, le Modern Art Museum of Fort Worth a lancé le 10 mars 2024 l’exposition Surrealism and Us: Caribbean and African Diasporic Artists since 1940, qui a réuni les œuvres d’environ 60 artistes originaires des Caraïbes et d’Afrique. L’exposition, ouverte jusqu’au 25 juillet 2024, comptait moins de 12 plasticiens haïtiens. Organisée par la commissaire María Elena Ortiz, elle s’inspire de l’histoire du surréalisme dans les Caraïbes et de la notion d’Afrosurréalisme aux États-Unis. Elle représente une perspective globale et est la première exposition intergénérationnelle dédiée à l’art diasporique caribéen et africain présentée au Modern Art Museum.
Toujours en mars 2024, le Smithsonian’s Hirshhorn Museum a inauguré l’exposition Revolutions: Art from the Hirshhorn Collection, 1860-1960, qui célèbre son 50e anniversaire. Cette exposition présente 208 œuvres d’art, dont certaines réalisées par 117 artistes au cours de 100 années de changements turbulents. Parmi les artistes exposés figurent trois plasticiens haïtiens : Castera Bazile, Rigaud Benoit et Hector Hyppolite. L’exposition se poursuivra jusqu’au 20 avril 2025.
Le 23 juin 2024 a marqué la fin de l’exposition Reframing Haitian Art: Masterworks from the Arthur Albrecht Collection au Tampa Museum of Art. Cette exposition, lancée le 26 avril 2023, avait pour but de recadrer le contexte de l’art haïtien moderne. Les œuvres présentées, toutes des chefs-d’œuvre de la collection Arthur Albrecht, témoignent de l’histoire complexe d’Haïti et de son patrimoine culturel.
Une autre exposition notable, Spirit & Strength, organisée par la National Gallery of Art, a débuté en 2024 et se poursuivra jusqu’au premier trimestre de 2025. Elle présente 21 œuvres d’artistes haïtiens reçues en don de la collection Kay et Roderick Heller de Franklin, TN, et de la collection Beverly et John Fox Sullivan de Washington, VA. Ces œuvres, qui représentent une variété de styles, de médiums et de sujets, proviennent de certains des artistes haïtiens les plus célèbres du XXe siècle.
En août 2024, la W.K. Kellogg Foundation a dévoilé la création de l’artiste haïtienne Geneviève Lahens Esper, choisie pour illustrer la mission et les valeurs de la fondation. La peinture, qui a orné les façades du siège de la fondation à Battle Creek, Michigan, a été exposée durant le festival Color the Creek.
Au Etats-Unis, l’année s’est terminée avec la nomination d’Edouard Duval-Carrié en tant que nouvel artiste en résidence du comté de Miami-Dade. Ce prestigieux honneur reconnaît son engagement à représenter la culture et l’histoire haïtienne à travers son art. L’annonce a été faite le 6 novembre par la mairesse du comté de Miami-Dade, Daniella Levine Cava, lors de la table ronde du département des affaires culturelles du comté, qui célébrait le 50e anniversaire du programme Art in Public Places. Edouard Duval-Carrié est ainsi le deuxième artiste à bénéficier de cette résidence.
De l’autre côté de la frontière nord des États-Unis, plusieurs événements ont également mis en lumière l’art haïtien. À Montréal, du 3 au 29 février 2024, Phalonne Pierre a présenté son documentaire photo Sere Bouboun. De son côté, au Québec, le Musée d’art de Rouyn-Noranda a inauguré l’exposition Sons Mêlés, qui a exploré la façon dont les artistes contemporains interprètent et expérimentent les traditions sonores, en particulier celles de Port-au-Prince, une ville où la créativité et le chaos sonore s’entrelacent. Maksaens Denis et Adler Pierre, sont entre autres les artistes haïtiens qui ont participé à cette exposition.
Enfin, à la 3e Biennale de Toronto, Tessa Mars a présenté All Islands Touch, une installation inspirée d’une berceuse traditionnelle haïtienne. À travers la peinture et la sculpture, elle explore la relation entre le corps et la terre, tout en interrogeant les récits coloniaux et les notions traditionnelles d’identité et de géographie.