Créer au gré des crises
Josué Azor, Pierre Michel Jean et Myke Joseph Surpris sont confrontés aux crises multiples qui rongent le pays. Mais ils résistent. Ils s’y prennent différemment, en se réinventant ou en s’adaptant.
Le secteur de l’art est l’une des principales victimes des différentes crises du pays. Les conséquences touchent toutes les institutions ou milieux dédiés à l’art tels que les galeries, les musées, les ateliers. Les artistes, désarmés face à cette escalade, ne réagissent pas de la même manière. Certains abandonnent tout bonnement. Mais la majorité est dans la résistance.
Ce jeudi 27 juillet, trois artistes qui ont participé à l’atelier CDA 2023 et qui sont exposés à la Maison Dufort jusqu’au 31 août, ont partagé, dans une causerie animée par le Directeur exécutif du Centre d’Art, Allenby Augustin, leur vécu avec un public attentif et désireux de savoir comment les artistes s’y prennent pour résister à l’ambiance mortifère du pays.
Avant de penser création, les artistes, du moins, la majorité ont une préoccupation encore plus importante : survivre. Myke Joseph Surpris habitait avec sa famille à proximité du commissariat de Martissant avant que des bandits ne le prennent en otage. « Je pensais être à l’abri de tout danger vu que le commissariat n’est pas loin. Je venais de payer le loyer quand les bandits sont venus dans l’appartement pour la première fois et piller toutes les autres maisons. Au lendemain j’ai pris mes affaires et ma famille. Nous allions dans une église provisoirement », se rappelle-t-il. « C’est un ami qui vit en terre étrangère qui a acheté un de mes tableaux. Il ne le voulait pas réellement. Il voulait juste m’aider pour louer un toit et abriter ma famille », précise le peintre.
Myke qui peint depuis qu’il est enfant avait déjà connu ces difficultés. En 2004, il a dû passer un semestre ailleurs alors que sa maison était prise en étau par deux gangs rivaux qui s’affrontaient à la 5e avenue (Martissant).
Les photographes ont évoqué un souci bien particulier à eux : les menaces qu’ils encourent sur leur terrain de travail. Pierre Michel se souvient du péril qui pesait sur sa tête quand il allait de ville en ville pour photographier…. « Parfois j’étais obligé de rester à distance pour réaliser les photos tant j’avais peur d’être pris à parti ». D’ailleurs les manifestations émaillées de plus en plus de violences l’ont aussi poussé à jeter l’éponge alors que ces photos apparaissaient dans les colonnes du Washington Post, Wall Street Journal, Le Monde, Le Temps, etc.
À l’horizon, l’avenir ne présage aucune amélioration. Le pays s’enlise davantage. Josué se remémore ses belles années. « Je voyageais la nuit dans les rues de Port-au-Prince, à la Grand-Rue, au Bel-Air…pour prendre des photos. J’allais tout seul sans même connaître la ville. On n’aurait jamais cru qu’on en arriverait là », regrette-t-il.
Dans le cocktail de crises, s’ajoute logiquement la crise économique. Auparavant, les couloirs économiques des artistes étaient multiples. Plus maintenant. Les galeries d’art, elles ont progressivement fermé leurs portes. Les expositions, elles se font de plus en plus rares. Le tourisme, entre 2015 et 2021, Haïti a connu une baisse de 71 % du nombre de touristes qui y séjournaient. Pierre Michel a aussi mentionné les bailleurs qui sont de plus en plus réticents à donner des fonds. Il confie que le Kolektif 2 Dimansyon était contraint récemment de restituer un fonds qui lui avait été déjà versé à cause du scepticisme des bailleurs. Il affirme que les artistes trouvent de moins en moins de financement pour soutenir leur projet.
Mais, ces circonstances houleuses sont loin de dissuader les artistes. Myke, qui pense à peine trouver sa propre voie artistique, fait d’énormes sacrifices pour continuer à peindre. Il investit le peut qu’il gagne dans l’art. Cela lui vaut d’être traité de fou.
Pierre Michel qui ne pratique plus le photojournalisme a pris deux autres chapeaux. Il est artiste photographe et cinéaste. La photographie artistique, énonce-t-il, lui permet de sortir du confinement de l’actualité qui se nourrit souvent des « mauvaises nouvelles » pour se consacrer à une photographie plus libre, plus subjective qui lui permet de se raconter. Le cinéaste annonce la sortie bientôt de son documentaire sur les relations haitiano-dominicaines.
Josué Azor confie qu’il est moins robuste face aux crises. Comportement qu’il qualifie de dents de scie. Parfois il patine. Puis un évènement déclencheur le remotive. Il s’évade, si c’est nécessaire sous d’autres cieux, loin des milieux turbulents. Des milieux qui le procurent calme et joie, propice à la création.