Comment le premier inscrit au cours du Centre d’Art a accompagné l’un des plus importants artistes contemporains haïtiens
Antonio Joseph. © Archive le Centre d’Art
Geneviève Lahens Esper manifeste couramment sa reconnaissance envers Antonio Joseph qui fut le premier, en 1944, à s’inscrire au cours du Centre d’Art. L’ancien participant, devenu formateur, avait adopté une méthode particulière pour accompagner Iris.
L’ombre d’un sanglant massacre planait sur les Haïtiens vivant en République Dominicaine lorsque Antonio Joseph, âgé de 17 ans, avait décidé de rejoindre Haïti avec son frère et sa sœur.
Grâce à son métier de tailleur, qu’il avait appris un peu plus jeune dans son pays natal, il parvenait à s’en sortir en Haïti.
En 1944, il est le premier élève et membre inscrit au Centre d’Art lors de l’ouverture officielle de l’institution. Il y étudiait le dessin géométrique et l’aquarelle avec DeWitt Peters, qui avait reconnu très tôt son potentiel unique, disant de lui qu’il était la première « découverte » du Centre et un atout pour cette institution naissante. Il s’était exercé également à la sculpture avec Jason Seley, la céramique avec Edith Wegard, et la sérigraphie avec Franck Jacobson.
Antonio avait appris les premières notions de composition et de perspective avec le sculpteur français Pierre Bourdelle, venu en Haïti pour superviser la création des murales de la Cité de l’Exposition de Port-au-Prince. De 1945 à 1949, il a travaillé avec lui autour de ce vaste projet d’État conçu dans le cadre des festivités commémorant le bicentenaire de la fondation de la ville de Port-au-Prince. En 1952, Paul Keene, artiste originaire de Philadelphie (USA) a enseigné et exposé au Centre d’Art. Il a transmis à Antonio Joseph les techniques de peinture à la caséine, qui combinent la virtuosité de la peinture à l’huile et les possibilités de l’aquarelle.
Cette découverte est déterminante dans la carrière d’Antonio Joseph qui entrait dans une phase de production intense et réalisait une série de peintures pour laquelle il avait reçu une bourse prestigieuse de recherche et de perfectionnement de la Fondation Guggenheim. Premier artiste haïtien à recevoir cette bourse dans le domaine de la « peinture créative », il a obtenu cette bourse universitaire par deux fois en 1953 et en 1957. Durant l’été 1954, son exposition individuelle à la Pan American Union de Washington a connu un immense succès.
Antonio Joseph dispensant un cours d’art au Centre d’Art en 1980. © Archive le Centre d’Art
Quelques années plus tard, Antonio Joseph, revenu dans le pays, s’était engagé à offrir à d’autres jeunes plasticiens ce qu’il avait reçu au Centre d’Art. Il y a enseigné la peinture, le dessin, la céramique et la sérigraphie.
Iris, fruit d’une méthode pédagogique particulière
Au début des années 1990, Geneviève a été diagnostiquée d’une maladie à l’œil. Elle souffrait d’une iritis. Selon l’avis du médecin, elle a été provoquée par le stress. Le contexte du pays – instabilité politique, insécurité – avait eu raison de l’architecte. La première élection démocratique en 1990 n’avait pas tenu ses promesses. Haïti était retombée dans ses travers.
C’est en multipliant les démarches pour combattre son anxiété, que Geneviève a adopté l’art. Sous les conseils d’un ami architecte, elle s’est mise à peindre. « Puis au bout de deux, trois jours j’étais complètement guérie », a révélé Iris, un nom gardé en reconnaissance de cette membrane, à l’œil, enflée, qui l’a propulsée vers une nouvelle passion. « Ça a été ma thérapie », a-t-elle ajouté. Iris a commencé comme autodidacte.
Geneviève Lahens Esper
Cependant elle ne se voyait pas plasticienne sans les directives d’un guide. Elle s’est tournée vers une vieille et agréable connaissance, le Centre d’Art. « Je venais tout le temps au Centre d’Art quand j’étais enfant. Je venais voir les artistes. Je venais voir les tableaux », s’est rappelée Iris.
L’intérêt, en revanche, a été pour une personnalité bien particulière. La jeune artiste a voulu absolument travailler sous la direction d’Antonio Joseph. Le professeur a accepté. Cependant, il a voulu expérimenter une autre méthode d’enseignement lorsqu’il a vu les œuvres que Geneviève avait déjà réalisées. « Quand il a visité mon atelier, il m’a dit : Tu veux avoir un professeur au Centre d’Art, mais tu n’auras pas de cours. Je vais passer toutes les semaines voir ce que tu fais parce que j’ai vu dans ton travail que tu es en contact avec quelque chose. Je crains que tu désapprennes. D’autant plus, tu as développé une technique qui marche », a confié la sexagénaire.
Comme promis, le cadre du Centre d’Art a visité Iris régulièrement. À chaque rencontre, Antonio ne faisait que commenter les réalisations de l’artiste en herbe tout en la conseillant. Il l’a accompagnée aussi dans d’autres expositions, discuté des œuvres des autres artistes. Il l’a encouragée à lire des livres portant sur l’art. Tous les samedis, elle venait au Centre d’Art et s’immergeait dans ce bouillonnement artistique, voyait et rencontrait les plasticiens du Centre. Dans sa tête, un rêve : voir ses œuvres exposées un jour entre les murs de cette institution de promotion de l’art haïtien et la remercier d’avoir allumé ce soleil sur son ciel. Elle a mis six ans à se préparer pour cet événement. « Je me suis appliquée, je l’ai préparé en 5 ou 6 ans. C’est ce que je voulais. Je voulais faire une exposition au Centre d’Art pour le remercier de m’avoir permis de rencontrer Antonio. Donc j’ai travaillé très dur », s’est-elle souvenue. En 2000, elle a exposé au Centre d’Art. Elle a présenté une installation.