Fonds pour la Photographie Émergente en Haïti : une mention spéciale à Adelson Carvens

Adelson Carvens. © Tania Jean-Louis

Tandis que toute notre attention est fixée sur Port-au-Prince et ses tourments, un fil fragile se rompt doucement dans les villes de province : ces traditions, naguère tissées comme des ponts entre les âmes, s’effacent. L’initiative de Carvens pour mettre en lumière ce problème mérite une mention spéciale.

Le jury du Fonds pour la Photographie Émergente en Haïti, en novembre 2024, près d’un an après l’annonce des lauréats de l’appel à projets lancé en novembre 2023, est revenu sur un dossier pertinent. « L’Écho des mythes en Haïti » est un projet photographique qui vise à documenter, analyser et sensibiliser sur la perte de certaines pratiques tout en soulignant leur valeur dans la construction de l’identité culturelle, ainsi que les conséquences de leur disparition.

Adelson Carvens s’attache à explorer cinq rituels pratiqués dans différentes communes du Grand Sud du pays.

Bal avant 4 / Bal avant Quatre 

Le Bal avant Quatre est une danse traditionnelle en voie de disparition dans la commune de Bainet. Elle se distingue par sa musique et son rythme spécifiques, ainsi que par un décor qui lui est propre, conçu précisément pour cette pratique. Plus qu’un simple bal traditionnel accompagné d’instruments ancestraux, cette danse partage certains points communs avec les bals où hommes et femmes dansent ensemble, tout en possédant une dimension unique. Un aspect fondamental de cette tradition est son lien avec les rituels vaudou. En effet, il arrive que les esprits (loa) ne se manifestent ou ne descendent que si le Bal avant Quatre a eu lieu. Cela confère à cette danse une importance spirituelle majeure.

Tire bâton / L’art du maniement du bâton 

Le Tire bâton est une pratique traditionnelle, considérée comme une méthode primitive mais efficace de se défendre sans intention de tuer, née dans le Sud et le Sud-Est d’Haïti. Face aux querelles quotidiennes des adolescents, où la peur de causer une mort accidentelle pesait lourdement, les anciens enseignaient aux jeunes l’art du maniement du bâton. Cette discipline visait à canaliser la violence en la transformant en une forme de punition contrôlée et non létale. Ce savoir ancestral, transmis de génération en génération, était accompagné de principes de sagesse, parfois avec une cérémonie mystique marquant l’entrée des nouveaux initiés dans cette tradition. Cependant, cette pratique est aujourd’hui en voie de disparition, remplacée par une violence exacerbée, amplifiée par la banalisation des armes à feu dans le pays. Ce contexte a altéré l’essence première du Tire bâton, qui tend désormais à se limiter à des démonstrations lors d’événements comme la fête du drapeau.

Trou Jet d’eau de Grann Simba 

À Jacmel, une grotte mystérieuse abrite Grann Simba, un esprit vénéré pour sa capacité à résoudre les désordres de la vie et à éloigner la malchance. Chaque année, le 6 février, des pèlerins se rassemblent pour commémorer cet esprit, considéré comme une reine de la compassion et de la pitié envers l’humanité. La légende raconte que Grann Simba était autrefois connue pour la rapidité avec laquelle elle exauçait les prières de ses fidèles. Les pèlerins, venus chercher chance et soulagement, repartaient souvent comblés. Cependant, au fil des générations, le rituel a perdu de sa rigueur et de son organisation. Ce manque de structuration a peu à peu affaibli l’efficacité perçue de ses interventions, affectant la continuité de la tradition. Aujourd’hui, cette dégradation du rituel et des pratiques associées suscite des frustrations chez les nouvelles générations, qui peinent à trouver les résultats escomptés. Malgré cela, les anciens continuent de venir chaque année, fidèles à la mémoire de Grann Simba, pour lui rendre hommage et la remercier pour son aide passée. Bien que les pratiques autour de cet esprit tendent à s’effriter, Grann Simba demeure une figure symbolique de l’espoir et de la résilience dans la culture de Jacmel.

Baptême de bateau 

Particulièrement à Belle-Anse, le baptême de bateau est une pratique riche en symbolisme. Ce rituel, dédié à Mèt Agwe, l’esprit vaudou associé à la mer, célèbre l’arrivée d’un nouveau navire, qu’il soit destiné à la pêche ou au transport. Bien que cette tradition ait longtemps occupé une place centrale dans la vie maritime de la région, les perceptions sociales modernes l’ont rendue moins populaire. Aujourd’hui, seules quelques communautés persistent à honorer cette coutume, préservant ainsi les derniers vestiges d’un savoir-faire ancestral.

L’étang Bossier 

Situé à proximité de Jacmel, l’Étang Bossier est un lieu empreint de mystère où les légendes se mêlent à l’histoire. Ce cours d’eau est réputé pour être né d’un événement surnaturel : selon la tradition orale, un vieillard aurait visité le village, demandant de l’eau à boire de maison en maison. Les habitants qui lui refusèrent cette simple hospitalité furent punis : leurs demeures furent englouties lorsque l’étang surgit de la terre, laissant des vestiges qui, selon les récits, émergent encore à la surface. Ce mythe est étroitement lié à la puissance de Mèt Dlo, l’esprit des eaux, qui exerce son influence sur cet étang. Lieu de rites mystiques, l’Étang Bossier sert également de cadre à des cérémonies initiatiques. Les jeunes qui souhaitent devenir manbo danwezo (prêtresses liées à l’eau) y passent un temps déterminé pour recevoir l’instruction spirituelle de cet esprit. Autrefois, des cérémonies fréquentes y étaient organisées pour invoquer la pitié et réclamer la protection des âmes disparues. Cependant, ces pratiques tendent à s’effacer, laissant planer une ombre sur ce riche héritage culturel et spirituel.

Ce projet devrait s’achever en avril 2025.

Le FPEH  soutient des photographes haïtiens et haïtiennes prometteurs dans la réalisation ou la poursuite d’un projet photographique cohérent, qu’il soit journalistique, documentaire ou artistique.

Avant le transfert du Fonds au Centre d’Art, FOKAL a soutenu le développement du photojournalisme et de la photographie documentaire en Haïti pendant de nombreuses années, à travers l’organisation de workshops, le soutien de travaux collectifs, de revues, ainsi que l’organisation d’expositions et de résidences pour les jeunes photographes haïtiens et haïtiennes. Avec le Centre d’Art, le Fonds pour la Photographie Émergente en Haïti continue d’appuyer cette démarche en soutenant des travaux individuels ou collectifs à long terme, réalisés en Haïti ou dans sa diaspora par des jeunes photographes haïtiens et haïtiennes au parcours prometteur.