"Lavi" de Gaëlle Séjour, une collection de gestes et d'énergies
Gaëlle Séjour a été l’une des lauréates du Fonds pour la photographie émergente en 2022. À travers son projet Lavi, elle a immortalisé ces instants de joie, arrachés au quotidien funeste d’un peuple qui égrène ses peines.
Les photos qui composent le catalogue du projet photographique Lavi ont toutes été prises entre 2018 et 2022. Cette période en Haïti a été marquée par de fortes turbulences et d’événements tragiques : les séries de pays lock, la montée en puissance des groupes armés, l’exode de populations fuyant leurs maisons et leurs quartiers, ainsi que l’assassinat du président Jovenel Moïse. Autant d’événements qui assombrissaient une atmosphère déjà lourde.
En revanche, Gaëlle Séjour, armée de son appareil photo, a parcouru Port-au-Prince, Cité Soleil, Delmas et Pétion-Ville pour capturer un autre visage de ces villes, marquées dans leur chair par des vagues de violence en constante amplification.
« Je m’étais lancée dans cette aventure avant tout avec une quête personnelle : échapper à la réalité qui nous guettait de toutes parts. Car la photographie est ma meilleure thérapie. J’ai voulu explorer cette joie, cet espoir, cette assurance qui habitent nos âmes », explique la photographe.

La détente et les ouvertures qu’elle crée vers l’évasion sont au cœur de ce travail en deux séries. Au carnaval, les regards captés sont francs, et les couleurs éclatantes se voilent d’une douceur qui les unit, leur conférant un soupçon d’intemporalité. La lumière, pourtant vive, contourne les visages avec la tendresse d’une main qui soutient. C’est bien une collection de gestes et d’énergies qui résonne d’une image à l’autre et relie cette série aux arrière-cours en noir et blanc.

Le Fonds pour la Photographie Émergente : un tremplin décisif
Gaëlle, qui n’aimait pas dévoiler ses travaux photographiques au grand public, éprouvait pourtant l’envie de partager cette aventure avec d’autres. Cela tombait bien : en décembre 2021, la FOKAL a lancé le FPEH 2022. La photographe s’est alors lancée dans la course, donnant ainsi un but supplémentaire à son aventure.
« J’ai trouvé un moyen à la fois de partager mes ressentis, ma personnalité, et aussi la façon dont je souhaitais montrer l’autre, cette joie et cette résilience qui nous animent au-delà de tout », a-t-elle confié.
« Le FPEH, c’est aussi un appui financier. J’ai pu aller photographier dans d’autres endroits où j’avais toujours souhaité me rendre. Je suis par exemple partie à Jacmel. J’aurais aussi voulu aller dans la ville des Cayes, mais l’insécurité croissante m’en a empêchée », A-t-elle regretté.

Le FPEH soutient les photographes haïtiens prometteurs dans la réalisation ou la poursuite de projets photographiques cohérents, qu’ils soient journalistiques, documentaires ou artistiques.
Avant le transfert du Fonds au Centre d’Art en 2023, la FOKAL a soutenu le développement du photojournalisme et de la photographie documentaire en Haïti pendant de nombreuses années, à travers l’organisation de workshops, des soutiens à des travaux collectifs, à des revues, ainsi que l’organisation d’expositions et de résidences pour les jeunes photographes haïtiens.
Avec le Centre d’Art, le Fonds pour la Photographie Émergente en Haïti continue d’appuyer cette démarche en soutenant des travaux individuels ou collectifs à long terme, réalisés en Haïti ou dans sa diaspora par des jeunes photographes haïtiens et haïtiennes au parcours prometteur.
Un mentorat déterminant avec Henry Roy
Les boursiers du FPEH bénéficient d’un soutien financier et technique pour la réalisation de leur projet. Henry Roy a été celui qui a accompagné Gaëlle Séjour.
« Cet accompagnement a été déterminant dans la construction de ma carrière en tant que photographe professionnelle. Le grand cadeau que j’ai reçu de lui, c’est la transmission de la capacité à exprimer mes émotions à travers mes photos. C’est crucial pour moi, qui suis introvertie. Je pense avoir découvert un moyen de mieux me connecter à mon environnement », a confié la photographe.
Henry Roy est un photographe, écrivain et artiste franco-haïtien, dont l’œuvre mêle mémoire, introspection et poésie visuelle. Il a été mentor pour le FPEH 2022.
« Une autre chose que j’ai apprise, en plus de m’accompagner tout au long du déroulement du projet, c’est de monter un dossier de photographie professionnel », a-t-elle souligné.
Baignée dans les arts dès son plus jeune âge au sein de sa famille, Gaëlle Séjour a étudié les arts visuels pendant trois ans à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, au Canada : la photographie, la sculpture, le dessin et la peinture. Elle est diplômée en photographie au Collège Marsan à Montréal.
La photographie, en particulier, lui permet de manifester en images ses pensées, ses sentiments, ainsi que l’énergie que dégagent les éléments de son entourage et de sa communauté. Et elle la réconforte quand il le faut.