L’insécurité étouffe l’élan des femmes artistes plasticiennes

Dashka-Reyna Charlemagne, l’une des lauréates de la bourse du Fonds pour la création visuelle 2023 du Centre d’Art. © Charly Amazan

Alors que l’insécurité gagne du terrain, les femmes artistes plasticiennes évoluant en Haïti se retrouvent en première ligne d’une double vulnérabilité : celle d’un milieu artistique fragilisé et celle d’un climat de violences accrues à leur égard.

« Après trois générations de lutte, les artistes plasticiennes d’Haïti commencent à être reconnues pour leur art », observe Barbara Prézeau-Stephenson alors qu’elle intervenait au festival Fenêtre(s) sur Haïti, au Tropiques Atrium à Fort-de-France, au début de l’année 2025. Cette reconnaissance naissante est le fruit de combats de longue haleine.

Les ennemis de cette émancipation ont été multiples au fil des ans. Mais au cours des cinq dernières années, l’insécurité a remporté la palme d’or. Les femmes artistes, en particulier celles qui évoluent en Haïti, portent un fardeau qui entrave leur progression vers leur but.

Il n’y a pas de meilleur exemple que l’histoire de Marie Guerlande Balan pour illustrer cette situation. Les sœurs Balan, dans le film Il faut créer, ont exprimé leur fierté d’être les premières femmes à avoir fondé le premier atelier exclusivement féminin au Village Artistique de Noailles.

Marie Guerlande Balan, l’une des lauréates de la bourse du Fonds pour la création visuelle 2023 du Centre d’Art. © Charly Amazan

Ce fut une étape importante dans la progression des femmes, notamment dans la pratique de cette technique longtemps réservée aux hommes, en particulier en raison des efforts physiques qu’elle exige.

« Jusqu’à présent, nous ressentons une grande fierté de l’avoir fait. Nous ne sommes certes pas considérées comme des héroïnes, mais la reconnaissance est grande », s’est réjouie Guerlande.

Cela a ouvert la voie à de nombreuses femmes. Elles sont aujourd’hui plus de huit artistes et artisanes à s’investir dans le fer découpé au Village Artistique de Noailles.

En 2022, Guerlande Balan est devenue la première lauréate du Prix féminin d’Arts visuels et la deuxième lauréate du Prix artistique Georges Liautaud. Elle a également figuré parmi les boursiers du Fonds pour la création visuelle 2023 du Centre d’Art.

Une double lutte : Art et survie pour les femmes créatrices en Haïti

Ce progrès s’est progressivement estompé en raison de l’insécurité qui s’est étendue à plusieurs régions du département de l’Ouest. « Le déclin a commencé en 2020 et s’est aggravé année après année », constate Guerlande, qui précise que les opportunités pour les femmes sur le marché de l’art sont de plus en plus limitées.

En effet, les hommes, présents sur ce marché depuis bien plus longtemps,

bénéficient « des opportunités qui se raréfient, soit en raison de leur renommée, de leur carrière, de leur talent ou de leurs accointances », a constaté Guerlande.

« Quelqu’un dont les moyens sont limités et qui souhaite acheter une œuvre se dirigera vers ses connaissances ou vers un artiste émergent. D’autres, qui voudraient soutenir les artistes en fonction de leur situation, se tourneront également vers leurs relations ou vers un artiste qui leur plaît », at-elle détaillé.

« Nous, les femmes, le vivons au quotidien : nous sommes toujours les dernières sur la liste. Malheureusement, cela crée un déséquilibre, car les femmes, ne recevant pas suffisamment de commandes ni de soutien, ne peuvent pas produire autant qu’elles le voudraient », a-t-elle confié.

De lourdes conséquences

Cette difficulté à créer et à vendre réduit considérablement leurs revenus, les plaçant dans une situation économique encore plus précaire.

Certaines artistes et artisanes choisissent de mettre leur carrière en pause face aux difficultés. « Elles sont en majorité des mères de famille, souvent seules, à élever leurs enfants. Le choix est vite fait : elles priorisent d’autres activités pour nourrir leurs enfants et les envoyer à l’école », analyse Guerlande Balan.

Certaines des plus talentueuses ont fui le Village. « C’est plus difficile pour elles de continuer à créer ailleurs, car il y a la difficulté de trouver du matériel, de trouver d’autres bras pour s’entraider, car dans ce processus de création, on travaille en collaboration. La difficulté d’imposer leur création dans un nouveau milieu est une barrière supplémentaire qui les contraint à abandonner », explique Guerlande.

Cette situation est commune à bon nombre d’autres femmes artistes, notamment celles qui évoluent dans les quartiers modestes, qui sont les plus touchés à Port-au-Prince.

Leur liberté de créer et d’exposer est mise à rude épreuve.