Préfète Duffaut, artiste du Centre d’Art
Préfète DUFFAUT. © Sylvia Salmi
Préfète Duffaut est sans nul doute du nombre des artistes qui ont contribué au succès et à la diffusion de l’art haïtien », a écrit Francine Murat, ancienne Directrice exécutive du Centre d’Art. 2023 aurait marqué la 100e année de naissance du plasticien qui est mort le 6 octobre 2012.
Il est né à Jacmel, rue de l’Hôpital, le 1er janvier 1923, en face d’une » pièce de canon » dit-il avec une certaine fierté. Il a commencé à lire avec le syllabaire, avec Revius comme Professeur, puis a été à l’école primaire de Renissard Thebaud, et enfin durant un certain temps, chez l’école des frères dans cette même ville.
La mère devait mourir très tôt. Son père Derilus Duffaut était charpentier maritime. Il construisant des petits bateaux de pêche ou de cabotage. A l’époque des vacances, comme beaucoup de fils d’ouvriers, le jeune garçon suivait son père sur les chantiers et faisait de petits travaux. C’est ainsi qu’il apprendra le métier sur le tas. Comme tous les enfants, il aimait jouer aux billes, aux cerfs-volants, mais surtout faisait des promenades en mer et la culture de la terre.
A onze ans, à cause d’une rupture entre son père et sa concubine, il est obligé de laisser l’école et commença à travailler comme aide charpentier, travail pour lequel il lui est payé un peu d’argent. Quelque temps plus tard, son père sera embauché sur un chantier à la Gonâve et l’enfant le suivra sur l’île et continuera à travailler avec lui comme ouvrier.
Préfète nous raconte qu’à une période difficile pour la famille, il revint chercher du travail à la Gonâve. Et un soir de février, à l’époque de la fête de Notre-Dame de Lourdes, il rêve de la Vierge qui lui demande de repeindre et de décorer le mur et l’autel qui lui est dédié. Ce qu’il fit avec joie. Et en retour, il lui demande de lui donner comme récompense, non pas la richesse, mais de quoi vivre bien à l’aise. La Vierge lui réapparaîtra en songe pour lui dire que sa prière va être exaucée.
Plus tard, une Américaine, Madame FOSS, ayant vu les décorations de l’autel, lui donna un petit cahier d’écolier et lui demanda d’y tracer quelques dessins. La dame était une amie de De Witt Peters. De retour à Port-au-Prince, elle lui montra les dessins. Mr. PETERS en acheta douze et lui envoya 12 dollars en paiement en le conseillant de ne plus faire de reproduction, mais de créer ses propres sujets. C’est ainsi qu’un peintre allait naître. C’était en 1948.
Préfète en Israël à l’occasion d’une exposition en 1985. © Archives du Centre d’Art
Les premiers tableaux « Erzulie », « Vue de Jamel », « Toile d’araignée » furent exposés et vendus à New York par Selden Rodman, alors co-directeur du Centre d’Art. Son quatrième tableau. « Ma maison », fait maintenant partie de la collection permanente du Musée d’Art Haïtien du Collège St. Pierre de Port-au-Prince.
Quoique habitant Port-au-Prince, Préfète DUFFAUT est resté fortement attaché à Jacmel, sa ville natale. En fait, il ne l’a jamais tout à fait quittée et souvent il y passe de longues semaines. Un de ses plaisirs est d’offrir à ses amis des fruits et vivres alimentaires récoltés sur ses terres.
La peinture de Préfète s’articule autour de plusieurs thèmes dont les principaux sont : Jacmel, la Vierge Marie et le Vodou. La Vierge d’ailleurs est souvent Erzulie. La peinture de Préfète est au début paysagiste, et même campagnarde et réaliste. Le paysage domine : des pâturages, des terrains herbeux, des arbres, des animaux, avec parfois la mer dans le lointain.
Préfète Duffaut, Jesus sur le globe, 2006, 24×36 inch, huile sur toile
Puis Jacmel va émerger, endormie dans son écrin de ciel et de mer. Le paysage va disparaître, les rues au début sont presque vides, des rares passants y circulent ; puis très vite, elle deviendra une ville fourmilière où les rues surpeuplées s’entrecroisent. Les gens sont anonymes, sauf l’image de la Vierge qui va souvent la dominer et parfois devenir le sujet, lui-même.
L’œuvre de Préfète aujourd’hui est presque en totalité faite de cette ville imaginaire sans cesse réinventée, de montagnes nues, qui donnent les rondeurs brunes ou verdâtres à ses fonds, arabesques, de ponts, de clochers, de paradis, de purgatoires, d’enfer. Jacmel est tout cela. Son œuvre n’a pas seulement Jacmel pour sujet, elle semble être dédiée à Jacmel, sa ville, et à la Vierge sa bienfaitrice, et aussi au vodou sans que pour cela il soit un pratiquant.
Préfète Duffaut, Ville imaginaire, 2007, 24×20 inch, huile sur toile
Les espaces de ces villes arabesques, de ces villes-tours sont peuplés de maisons petites ou grandes, aux fenêtres sans battants, dont il n’a pas fini d’inventer les formes, d’arbres minuscules qui servent apparemment de jardin où frange l’horizon, se découpant sur la mer ou sur le ciel. Depuis quelques temps, une autre forme d’architecture, les grattes ciels de Port-au-Prince ou des grandes villes qu’il a visitées, coupent la monotonie des petites constructions.
La peinture de Préfète est résolument bleue, le bleu plus clair de ciel et celui indigo de la mer se rencontrent pour former avec les mornes le fond de ses créations. Souvent sur la mer, de petits voiliers ou de grands bateaux évoluent comme dans ce « Bateau Agoue » chargé de nourriture avec la Vierge entourée de drapeaux et d’oriflammes contemplant le spectacle. Les petites maisons et les gratte-ciels sont de toutes les couleurs : rouge, vert, orange, violet purs. Le blanc parfois domine, blanc cru sans aucune ombre, sauf les vides noirs. Ils forment ainsi une mosaïque se détachant sur les bleus du fond.
L’artiste s’est échappé parfois de cette sorte d’envoutement pour alors puiser dans son imaginaire, tout en restant surréaliste. D’autres formules de création et sa personnalité originale a marqué chacune d’elles, mais il est toujours en définitive revenu à sa case de départ.
Préfète Duffaut, Guede Zarignin, 2004, 24×30 inch, huile sur toile
Préfète DUFFAUT a participé au début des années 50, avec les grands peintres populaires comme Philomé OBIN, Rigaud BENOIT, Castera BAZILE, Wilson BIGAUD, Gabriel LEVEQUE et autres, à la grande aventure des murales de la Cathédrale Épiscopale. Il est dans beaucoup de collections individuelles en Haïti et à l’étranger, et dans celle du Musée d’Art Haïtien du Collège St-Pierre.
Préfète DUFFAUT peint toujours beaucoup. Il a été certes beaucoup copié, mais aussi il a influencé et encouragé plusieurs peintres des jeunes générations qui l’ont suivi. Sa peinture, quoique un peu répétitive, n’arrive pas à lasser ses admirateurs parce qu’elle est devenue un des classiques de l’art populaire haïtien, et aussi parce que, à la fois en apparence toujours pareille, elle est chaque fois différente.
Préfète DUFFAUT qui, on le sent, n’a pas eu d’enfance, est devenu trop tôt un adulte. L’adulte qu’il est aujourd’hui rêve devant sa ville. Et devant son chevalet et sa toile, il redevient l’enfant qui a rêve.