Projection du film Il faut créer
Le film Il faut créer, réalisé par Natacha Giafferi-Dombre, explore l’univers de plus d’une dizaine de femmes artistes plasticiennes. À travers leurs témoignages, elles dévoilent un quotidien marqué par un dilemme constant : créer par passion, mais aussi par nécessité. Le film a été projeté au Centre d’Art le samedi 12 octobre 2024.
En 2015, l’anthropologue Natacha Giafferi-Dombre a parcouru certains des quartiers les plus modestes de Port-au-Prince, à la rencontre de femmes artisanes et artistes plasticiennes. Il faut créer rassemble un ensemble de récits sur la manière dont ces femmes s’approprient l’art et l’artisanat.
Mme Moreau travaillait dans une usine dirigée par Max Désert. À la mort de ce dernier, elle fut l’une des employées à perdre son emploi. C’est alors qu’une collègue, Amina Siméon, l’a initiée à la création artistique. « Elle m’a dit : viens chez moi, j’ai des livres sur le vèvè. J’ai répondu que je ne suis pas dans ce domaine. Elle m’a rassurée : c’est pour gagner de l’argent, même si tu n’es pas vodouisante, tu peux faire ce travail sans souci », se souvient-elle. Les drapeaux vodou sont donc devenus, pour elle, une opportunité lucrative. « Si c’était moi qui choisissais, je ferais des fleurs, des lettres… Les images vodou comme La Sirène ou Dantor, je les fais, mais je ne les apprécie pas particulièrement. C’est un produit pour gagner de l’argent », a admis l’artiste textile.
Mirtha et Armelle Balan, deux artistes spécialisées dans le métal découpé, partagent également cette expérience. « Ce métier a tout fait pour moi : il m’a permis de scolariser mes enfants, d’acheter un terrain et de construire ma maison. Il m’a tout apporté », martèle Mirtha. « C’est l’artisanat qui est devenu le père de mes enfants », ajoute Armelle.
Ce rapport à la création s’explique par la structuration du tissu social, selon une femme venue voir le film. « Ces femmes sont souvent mères d’enfants dont le père est absent ou peu présent. Elles sont fréquemment le pilier d’un foyer », explique-t-elle. « Leur principale préoccupation, en tant que créatrices, est de rentabiliser leur talent », a-t-elle ajouté.
Marie Gérald Morilus, une artiste textile invitée à une causerie en marge de la projection, a soutenu l’analyse de l’étudiante en histoire de l’art. Elle a souligné que les femmes artistes sont généralement confrontées à leurs responsabilités familiales, ce qui les pousse souvent à se plier aux exigences des clients, au détriment de leur expression artistique. Marie Gérald, mère de deux enfants et responsable de sa propre mère, a confié : « J’ai la charge entière de la maison ». Elle a également précisé que son art est sa principale source de revenus.
Natacha Giafferi-Dombre s’est également entretenue avec Marie Chantal Exil, qui voit dans l’art une dimension spirituelle. « L’art vous aide à respirer, à vivre. Parfois, je suis malade, j’ai des douleurs, je reste allongée toute la journée. Puis je me dis : pourquoi ne pas faire un peu de peinture ? Pendant que je peins, je me réveille, mon sang se réveille. Je peins, et ensuite je peux faire d’autres choses dans la maison », raconte l’artiste.
À Grand-Rue, l’art constitue un outil de lutte contre les stéréotypes de genre, particulièrement en encourageant l’autonomisation des femmes. « Elles sont une force pour l’humanité. Elles ne doivent pas rester à l’écart, mais participer à tout… Elles doivent penser, créer », a encouragé Dieunie Jovin, sculptrice.
Claude (nom d’emprunt), venu assister à la projection, pense que le rapport des femmes à la création est probablement bouleversé par le contexte actuel, marqué par de multiples crises. « Les artistes, et en particulier les femmes qui évoluent dans la région métropolitaine, n’ont presque plus le luxe de créer par passion ou d’en faire une activité économique », a-t-il analysé. Il a souligné que les principaux clients de ces créatrices ne viennent plus dans le pays. « Elles l’ont mentionné dans le film, les étrangers sont leur principale clientèle », a-t-il rappelé. « Sans compter que les lieux où la majorité de ces femmes travaillaient sont désormais sous l’influence de bandits. »
Marie Gérald, lors de son intervention, a soulevé d’autres problèmes auxquels elles sont confrontées dans le contexte actuel. Elle a révélé que celles qui veulent encore travailler rencontrent de sérieuses difficultés pour se procurer des matériaux.
L’avenir des artistes femmes, selon Marie Gérald Morilus, semble de plus en plus sombre. Elle appelle néanmoins à la résistance.